30.6.02

habeas corpus. Show me your body.
Me voici donc que je reviens de l'épicerie ouske je vais depuis cinq ans (et demi); l'y avait là un grand nazi de 17 ans étudiant en techniques policières un blond stagiaire pris par la nouvelle administration pour observer la clientèle et débusquer ceux qui volent à l'étalage. Pendant ce temps que vos impôts paient, les musulmans propriétaires sont à Bagdad pour dire adieu à leur grand-mère (ils sont 4 frères). Personne a songé à prévenir ce grand crétin du danger qu'il y a à tourner autour d'un vieux précieux client solide, spécialement si ce client c'est moi, anyway je lui câlice un coup de coude dans l'arête aryenne qui ne le sera plus jamais le sang pisse sur le pain Weston je continue mes petites courses et puis je paie en fronçant les sourcils de l'air de dire y a ti kekun ki veut me dire kekchose et puis je rentre avec ma crème glacée.
Elle m'a écrit un mail joli, gentil, féminin, explicatif, apologétique, noble et docile à la fois, je ne sais pas, je ne sais pas, je vais faire un tour dehors et respirer très fort.
Trente-sept ans. Gros. Cancéreux que ça ne m'étonnerait pas. Le miroir me renvoie une rotondité, une épaisseur bourrelée au-dessus du coude gauche. Et j'expectore (dixit Justine) avec de plus en plus d'inconfort, un point dans le dos, dans les sombres parages des poumons, et mon coeur crampe sans avertir, à moins que ce ne soit l'avertissement, mais je crains tant que toute ma force ne fonde au creuset de l'inquiétude, comme ma beauté s'estompe dans les résidus de tabac fumé et de bière bue.



Mon appareil respiratoire est une méchante machine métis en chemin vers Batoche, Riel et Dumont (Louis et Gabriel) associés dans un rêve, une action inexorables.
Ces maudites fleurs croissent et embellissent à vue d'oeil, à croire que le pot va craquer, on dirait qu'après un temps de choc et d'hésitation elles ont accepté la transplantation et décidé de vivre ici. C'était un beau cadeau, en fin de compte.
Elle a retiré de ses sites tous les liens vers ici, stalinienne, comme si je n'avais jamais existé. Or, phénomène comique, mon trafic a augmenté en même temps. Je débouche une quille à votre santé, qui savez vous servir de Google et des signets, et qu'elle s'étouffe dans le fiel.
Sacré paquet de courriels en retard. Justine qui voulait venir hier. Si elle peut aujourd'hui, j'aurai pas besoin de travailler pour me changer les idées. Ce qui me fait songer à ce pauvre Kevin qui va de job de déménagement en job de peinture quand il fait trente degrés à l'ombre. Pour gagner de quoi étudier l'Antiquité. Admirable et déconcertant, comme tout ce qui est grand.
Gare aux plaies de lit! J'ai du pain sur la planche. L'ouvrage va m'aider à placer tout le sordide épisode derrière moi. Toujours triste et fâché, autant l'un que l'autre je pense, le contraire serait surprenant, mais je n'ai qu'à ne pas perdre de vue qu'aucun bon moment des derniers mois ne mérite un souvenir attendri puisqu'ils émanaient du mensonge. Mon instinct, lui, ne mentait pas. Brave bête.
Dormi 24 heures. Un bon début. J'y retourne.

29.6.02

Ce Journal a une douzaine de semaines et son lectorat augmente de façon régulière, sans sursauts suspects, suivant une courbe qui suggère que nous avons affaire à du solide. Et je trouve ça franchement fascinant. Les outils de mesure de fréquentation propres au web n'ont pas encore d'équivalent dans l'édition traditionnelle, et ceux dont on dispose, quoique plus précis, détaillés et rapides qu'il y a dix ans, demeurent d'arides rapports comptables à l'usage de l'éditeur: leur principal intérêt est de permettre une gestion plus serrée des inventaires, se traduisant en fin d'exercice par de substantielles économies, notamment au chapitre des frais d'entreposage.



Bon, j'ai pas fermé l'oeil depuis 85 heures et l'incohérence menace...

28.6.02

Il y avait tant de cheveux déchus gisant sur le plancher du barbershop, un tas énorme et rondouillard, on aurait dit une petite bête, un gros tribble ou ce qui reste d'un chow-chow équarri dans un party goth.



C'était à moi, le tas entier, quoiqu'un peu moins déjà: la crinière de Christian, cavalièrement congédiée, donnant son show d'adieu. J'avais acheté une caméra jetable pour documenter les derniers instants de cette belle plante couleur de marrons rôtis au brasero, au cas où j'aurais le bon sens de ne plus attendre si longtemps la prochaine fois. Trois pépés attendaient leur tour en discutant restauration de baignoires.
Y a une garnotte dans ma bottine. Traduction libre d'une vénérable locution proverbiale sicilienne dont je situerais l'origine entre Alaric et Attila si je n'avais rien de mieux à faire ou qu'on m'offrait beaucoup d'argent ou si des fois sait-on jamais on le demandait gentiment. Quossé, on peut plus rêver? À défaut de dormir...



Une garnotte! Dans ma bottine...



Rustique image sépia, métaphore méditteranéenne mafieuse, à n'employer qu'à basse voix tout en frottant un bout de pain sur le rebord glissant et gras d'une vaste jarre d'huile odorante—une jarre en grès poreux pesant—et juste avant de vous verser un autre verre de ce vin rude aussi sec et accidenté que les environs d'Agrigente.



Dans le volet final de la trilogie Corléonienne, la chaussure est celle d'Eli Wallach et le caillou, c'est Pacino. Dans ce cas de figure, l'onctueuse et retorse charogne incarnée par Wallach aurait mieux fait de changer de souliers ou d'endurer son mal, à supposer que pareil choix existe dans un cosmos déterministe où Coppola est Dieu-le-Père (Deodaddy pour les intimes).



Y a donc une garnotte dans ma bottine qui m'a démangé tout le jour. Un mec que je connais même pas. Classique histoire de hiérarchie, de mâle alpha et de respect. Une peccadille, en vérité, mais fort utile à me distraire du réel objet qui me pèse, un tas étrange assez puant qu'elle a dompé par accident sur les restants de ma candeur. Équilibrage de la matière: cette masse de malice, de mensonge et de médiocrité me libère du poids de toute obligation, sinon de tout désir. Les règles du jeu m'ont été clairement, finalement révélées. Je suis doublement affranchi. So roll the dice, girl, cause daddy needs new shoes!!!
Ce matin, je suis malheureux. Ça ne m'arrive à peu près jamais, parce qu'en principe je ne crois pas au concept de bonheur (ni, par extension, en son contraire), mais il semble qu'un épuisement systématique, patient, délibéré, puisse générer les conditions propices à l'expérience d'états qui n'existent pas. Conséquemment, je m'observe ressentant ça, qui va passer très vite.



Viens de finir de visionner A beautiful mind. Ce Russell Crowe, à qui l'opinion unanime prête des vertus d'acteur superlatives, réhabilite la notion même d'opinion unanime, du moins à mes yeux, et mon regard est querelleur depuis vingt heures, rien n'y trouve grâce, rien que ce type qui joue comme ça ne se voit plus, comme ça ne s'est peut-être jamais vu: le critère jouer faux, jouer juste perd ses sens à ce spectacle, quand un mec nous la joue scène après scène de façons neuves, depuis les muscles du mâchoir jusqu'aux usages du regard inédits tous ne devant rien et qu'on est placé devant l'évidence qu'un répertoire est inventé. Anyway, à la fin, Nash, acceptant son Nobel, parle des "mystérieuses équations de l'amour".
Rien à faire, je dors pas. Ces enfoirés de gros lards de feignants de marchands de sable ont dû se foutre en grève, j'ai pas pris les infos ni ouvert un journal depuis mardi dernier, je sais plus rien, comment ça va chez vous? Le sommeil marche? Il fonctionne? C'est peut-être une grève sectorielle, c'est ça, mais bien sûr sot que je suis, le dodo est un service essentiel, comme la police et l'hôpital, ils peuvent pas priver de repos toute une ville en même temps, y aurait du sang dans les rues sous peu, y en a peut-être déjà, je sais pas, je suis pas sorti, je cherchais le sommeil dans mon lit.
J'aurais aimé pouvoir lui expliquer pourquoi je ne peux pas, ne dois pas, ne pourrais plus de toute façon jouer le jeu de l'amour, pourquoi ce doit être l'amour sérieux, celui des grandes personnes, ou rien du tout. Les grandes personnes savent la valeur de ce qu'elles ont et ne le compromettent pas à tout bout de champ au gré de leurs humeurs.



J'ai mis des années à rassembler les morceaux de mes vies—la privée, la publique, la professionnelle, la platonique, la passionnée—, ceux-là que j'ai pu rescaper des décombres après le choc et l'après-choc sismiques qui ont brutalement tout envoyé valser. Si elle savait la terreur de glace que m'ont causée crescendo ses trois retournements, je crois absolument qu'elle ne s'y serait pas abandonnée. Mais elle ne le sait pas parce que je ne peux pas le lui faire comprendre. Terreur de glace, c'est ce que j'ai trouvé de mieux pour dessiner mon sentiment, mais ce n'est pas, hein, tant s'en faut, une explication très porteuse de sens et de nuances; c'est une approximation codée au moyen d'un langage commun dans le dessein de transférer l'information d'une mémoire à une autre, et c'est là un domaine où les humains sont désespérément moins efficaces que les ordinateurs.



J'ai pesé les choses. Dans ma balance telle qu'elle est maintenant, faite de l'alliage des métaux extraits de ma vie aux scories minées tout au fond de ma carrière; cette balance, elle penche résolument du côté de la sérénité. Le plus léger plateau contient pourtant tout mon désir d'elle et d'une belle grande intégrale permanente histoire d'amour, de celles dont les protagonistes ne connaissent jamais le fin mot parce qu'elles durent très précisément jusqu'au dernier soupir du dernier à mourir. Il contient, ce plateau, outre ce que j'ai [ ]







J'en peux plus. Pas capable de finir le paragraphe. Presque 72 heures. Toujours pas dormi sauf les clous que je cogne huit secondes à la fois. J'arrête là avant de foutre le feu—je m'assoupis un mégot à la main et la brûlure me réveille. Je veux plus avoir peur. Je m'en fous s'il faut que je m'enferme pour être à l'abri des désirs chaotiques du dehors. Liberté. De s'enfermer. Ça reviendrait à ça, en fin de compte? À qui nous incarcère, d'autrui ou de soi? Je vais mourir, mais quand? Dans dix minutes, dix jours, dix ans?

27.6.02

Vrac, vite vite avant que le livreur de broue n'arrive:



-Le concierge est venu poser les lattes de bois circonscrivant le périmètre-cuisine. Un boulot de quinze minutes, incluant la pause-bière tandis que se solidifie la colle-contact. Bilan fait, j'attendais depuis un an et demi, on m'a promis de venir vendredi prochain vingt-six fois plus ou moins et le concierge actuel est le sixième en succession directe depuis le premier qui m'a menti.



-Le maudit pot de fleurs prospère, les petites rouges arrêtent pas de périr et de renaître d'un jour à l'autre comme des phénixs végétaux narquois, moi j'arrose, j'ai pas le choix, je fais ça vite sans regarder, comme si ça pouvait m'empêcher de me mettre à les aimer.



-Hier soir, au Café Ludik: un bluesman à la voix chaude citron-miel-boisson forte, une voix de ponce de gin, de grog épicé, de vin bouilli. Patronyme Lutes, prénom je m'en rappelle pas.



-Même moment, même endroit: Patrick Coppens, poète que je qualifierai de fildefériste, because la façon dont il livre son show (rodé comme un moteur de Ferrari, adaptable à l'entier spectre des pistes, qu'il pleuve ou que l'asphalte fume): il flirte avec l'étroite et brumeuse frontière entre mettre les gens à l'aise et outrager leur égo. Il flirte, et il séduit. Plus tard, entre sa sortie de scène et mon entrée en icelle, il vient m'offrir une page autographiée; je ne saurais reproduire ici ce qu'il m'a écrit, sinon en le paraphrasant, vu que le papier est resté dans la poche-revolver de Vigneau, en tous cas c'était gentil et il était question de bosser duo un de ces jours. Un peu plus tard encore, il laisse tomber qu'il en est à sa 397ème performance. K n'est pas encore passé, il passera en dernier parmi les invités, avant la portion micro ouvert, anyway deux choses me viennent en tête à cette mention de 397ème: #1. Je songe que K en est à sa unième, et j'espère qu'il a ramassé quelques trucs en écoutant Coppens. #2. Je me réjouis d'avoir pu offrir ce raccourci à K en négociant un package deal avec Éric Roger, et je me réjouis que K, son orgueil bien placé, ait eu le bon sens d'accepter sans stériles états d'âme (ce matin, au téléphone, quand il m'a confié s'être réveillé sur un high naturel, je me suis réjoui encore. Il y a des jours qui sont comme ça, et moi, je suis encore mardi).



***



Vrac (suite), vite vite avant que les flashes ne s'enfuient (tous mes bons flashes se font la malle, ça la fout mal):



-Un blind pig sur la Main, milieu de la nuit dernière: ce nègre déjanté hallucine pire qu'une groupie de banlieue, me suit partout, me saute au cou, se jette sur mon chemin avec force gestes d'amitié; j'y réponds vaille que vaille, de dix secondes en dix secondes sa main s'élance et stoppe en l'air faut que je fasse la même affaire pour qu'on s'accouple en un high five, lequel échoue à tous les coups à cause de lui dix fois sur dix encore un mythe qui se dévisse, deux heures plus tard il est bien cuit on est assis de part et d'autre d'une table lamentable et il commence à me causer en phrases entières que j'entends pas—je viens de farcir le juke-box jusqu'à la fente avec toute la mitraille qui lestait ma poche de futal—on s'y reprend à plusieurs fois il se passionne pour son sujet j'aimerais tant en faire autant sauf que la seule chose que j'entends c'est la beuglante d'Éric Lapointe amplifiée par les haut-parleurs toujours est-il que ce con-là ce qu'il pensait ce qu'il disait c'est que j'étais un gars de gaffe un chef motard un Hell's Angel il voulait se faire pardonner pour les bêtises qu'il avait faites dans ce bar-là auparavant il s'était fait jeter dehors un mois plus tôt comme y en a mille sauf qu'il se croyait exilé une fois pour toutes et sans retour et quand il était revenu certain qu'on ne l'admettrait pas il était tombé sur le cul en ne constatant rien de tel et depuis lors depuis deux heures il était en proie à la peur irraisonnée qu'on épiait le moment de le châtier en bout de ligne il n'y tint plus il se plaça à la merci du plus gros sale aux cheveux longs qu'il trouva dans les environs persuadé qu'il s'agissait d'un chef de guerre d'un puissant homme et c'est ainsi qu'il se méprit qu'il fit erreur sur la personne en l'occurence c'était moi et non quelqu'un qui me ressemble et qui serait cet écrivain dont la rumeur dit tant de bien...
Clean cut, spic & span, looking good, feeling fine, king of the hood, sex on my mind, should go to bed until sunday screw the redhead sleep all the way got a nosebleed I wonder why I'm a bad seed don't even try don't talk to me get the fuck out bring an army but shut your mouth I need my sleep I count a sheep always the same old lousy game I want to dream I want to scream I need to lock my own white ass in a cell block and let it pass.
Salut la compagnie. J'écris pour énumérer brièvement ce sur quoi je n'écrirai pas maintenant, et pourquoi. Je n'ai pas fermé l'oeil depuis cinquante heures, voilà pourquoi. Lessivé, je n'écris pas plus de conneries que d'habitude, mais je les écris moins bien. Alors à plus tard, hein? Je causerai de la soirée d'hier au Ludik, de la fusquigécoraïque performance de Kevin Vigneau, poète, dont c'était le baptême du micro, sacrifiant sa cerise littéraire sur une scène de 2 mètres carré avec la noblesse et l'aplomb et le magnétisme effronté d'un ange chauve et chic. Il y aura quelque chose sur Justine, ce sujet délicat, sa robe de lin blanc et ses baisers pudiques émouvants à frémir. Et cetera et cetera et que sera sera. Et de Kevin encore, qui m'informe quelque part là-dedans du coup de fil d'Annie, reçu mardi de la semaine dernière. «J'ai pas eu le temps de t'en parler avant...», qu'il commence à avancer en guise d'explication, penaud, pas convaincu, puis renonçant à mi-phrase et attendant bravement l'explosion.



Sauf que c'est si gros, si hénaurme, si démesurément atypique, que j'éclate d'un rire falstaffien à en faire choir les guitares collées au plafond du Bistro à Jojo. Ce damné Madelinot, si parfait toujours, à s'aliéner les mortels ordinaires, venait tout de même de faire une boulette. Ironiquement, l'imperfection même qui le rendait plus humain ajoutait à son charisme zen. «Elle avait l'air de dire qu'il valait mieux vous séparer, des trucs comme ça. J'ai pas bien saisi, j'étais pas mal chaud...»



«J'espère qu'elle attendait pas de réponse?», je dis, goguenard. Il me dévisage un instant, puis éclate de rire à son tour. C'est pas drôle, mais qu'est-ce que vous voulez, ça fait du bien.



Bon, c'est pas tout ça, mon barbier m'attend pour ma coupe annuelle.



25.6.02

Retournement de fortune, dans le bon sens pour une fois. Les sous cinéma se sont posés comme une fleur dans ma boîte aux lettres. Enfin, pas précisément, parce que l'adresse était tant soit peu erronée, mais heureusement, mon facteur est aussi un fervent lecteur; il prend sa retraite à la fin de l'année et il va me manquer.



Mario compare ma vie à celle de Monsieur Magoo: chaque fois que je vais chuter dans le vide, une planche de salut se présente. De fait, j'étais à ça d'être débranché partout. Meilleure chance la prochaine fois, mauvais sort.



Mario vient chercher un peu de café et m'apporte un peu de tabac. Ce sacré vieux communiste et moi jetons les bases d'une nouvelle/ancienne économie: le troc solidaire.